vendredi 27 juillet 2012

Des souris et des hommes, de John Steinbeck




Il est des livres, comme ça, qui nous poursuivent longtemps avant qu'on ose enfin les ouvrir. J'ai entendu parler de celui-ci quand j'étais adolescente (cela fait donc plus de 20 ans maintenant), et je ne voulais pas le lire. Mais régulièrement, il est venu se rappeler à mon bon souvenir. Et puis, dernièrement, chez mon libraire, je suis tombée dessus dans une édition toute nouvelle, sous coffret magnétique, avec un joli marque-page en métal dessus. Et j'aime les marque-pages. Si. Beaucoup, même. Et j'ai craqué.

Et je ne le regrette pas. Ce livre est très court, très dense, et se lit très vite. C'est une sorte de monument à lui tout seul, un tableau de la vie aux Etats-Unis. George et Lennie voyagent ensemble. Ils louent leurs bras à qui veut bien leur donner du travail. George veille sur Lennie, grand gaillard tellement costaud qu'il ne se rend pas compte de sa force. Lennie, que l'on pourrait qualifier d'idiot aussi, tant sa compréhension des choses est parcellaire. La seule chose qu'il sait de manière certaine, c'est que George est son ami, que George s'occupe de lui, et qu'il ne lui fera jamais de mal.
Je ne vous ferai pas l'affront de vous raconter le début de l'intrigue : je dois être la seule dans la blogosphère à découvrir seulement maintenant ce monument de la littérature américaine.
Je vais donc juste vous dire que j'ai vraiment beaucoup aimé cet ouvrage. Les personnages y sont décrits en peu de mots, mais avec une profondeur indiscutable. L'histoire est courte, elle se déroule sur quelques jours, mais intense.
Qu'est-ce qui en fait un monument ? Je ne saurais le dire exactement. Si ce n'est que ça, pour moi, c'est typiquement le genre de livre qui me marque profondément, un peu au fer rouge, et qui restera dans ma mémoire, contrairement à un nombre incalculable de livres que je lis dans l'année (et encore plus les autres, ceux que je n'aurai jamais le temps de lire). Et ces livres qui restent, il n'y en a pas tant que ça, finalement. Des souris et des hommes fait partie du patrimoine littéraire, un peu comme 1984, Autant en emporte le vent ou Le Meilleur des mondes pour n'en citer que quelques-uns (je pense aussi à Jane Eyre ou Les hauts du Hurlevent, ou à certains auteurs Français bien sûr). Des grands classiques, quoi. Et c'est là que la question du temps (grande question que je me pose en ce moment) est prépondérante : pour savoir quels sont les chefs-d'oeuvres qui sont ou seront incontournables, il n'y a qu'à attendre. Le temps se chargera de faire le tri.

Paru aux éditions Gallimard (Folio), 2011 (trad. : 1955). ISBN : 978-2-07-044477-9

mercredi 25 juillet 2012

Princesse Sara, tome 4 : Une petite princesse !, de Audrey Alwett, Nora Moretti et Claudia Boccato




Miss Minchin a décidé de briser Sara. Mais de son côté, son riche voisin, toujours à la recherche de la fille de son ami, s'est pris d'affection pour la "petite jeune fille de la mansarde de droite" et a décidé de lui rendre la vie plus facile. De plus, à force de cruauté, les autres élèves commencent à avoir des craintes...

Ce tome 4 clôt le cycle racontant la vie de Sara à Londres, avant un second cycle qui débutera en 2012. Comme pour le tome 3, j'ai d'abord regretté le format, plus petit que les tomes 1 et 2, adopté par l'éditeur pour cette série (est-ce le cas pour tous les albums de la collection, ou seulement pour ceux-ci ?). Sinon, ce tome est bien au même niveau que les autres, même si on peut regretter qu'il soit un peu moins original que les autres. Par exemple, on y trouve très peu de références propres à la bd elle-même et à ce qui a fait la vraie originalité du tome 1 : le style Steampunk, avec les automates qui ont une place très importante au début de l'histoire. Ici, ils sont présent, mais cette place est presque anecdotique, et c'est sans doute un peu dommage.
Comme d'habitude, le dessin est superbe, assez proche du graphisme de la série animée des années 80. Les couleurs sont elles aussi magnifiques, confirmant la belle unité déjà observée dans les trois premiers tomes.
Une belle bande dessinée, donc, mais sans surprise par rapport aux autres tomes de la série.

Paru aux éditions Soleil (Blackberry), 2011. ISBN : 978-2-302-01947-8

lundi 23 juillet 2012

Les Aventures alsaciennes de Sherlock Holmes, de Christine Muller




Après un premier passage en Alsace, en 1891 (et ça, c'est de Sir Conan Doyle himself que nous le tenons), Christine Muller a fait revenir Sherlock Holmes et son ami le Docteur Watson dans notre belle région, en 1898. Hébergés à Strasbourg, chez le Docteur Jordan, les deux amis sont là officiellement pour se requinquer (spécialement Sherlock, qui a une tendance à exagérer sur la cocaïne, et qui a l'air de dépérir dans le brouillard londonien). Ils en profitent pour visiter la région, pour profiter des montagnes, des villages, et de la bonne nourriture. Et sont confrontés au passage à nombre de cas étranges, énigmatiques, qui vont mettre les neurones de Sherlock Holmes au travail.

Ces huit nouvelles s'enchaînent, se lisent vite et sont très agréables. On y retrouve un Sherlock un peu différent. Sous la plume de Christine Muller, il devient un séduisant et ombrageux détective, et l'auteur ne tarit pas à ce sujet. Elle va même jusqu'à lui trouver une "fiancée" ! Cette vision très féminine de grand détective m'a souvent fait sourire, mais dans un certain sens, je la comprends. Sherlock Holmes a en effet un côté mystérieux, ombrageux, presque mauvais garçon, très séduisant effectivement (si on aime le genre) et il ne perd rien ici, en prime, de ses capacités intellectuelles hors normes qui lui permettent de résoudre les différents mystères qui se présentent à lui.
Au total, c'est une lecture très agréable, une écriture fluide et réjouissante. J'ai passé là un excellent moment de lecture.

Paru aux édition Le Verger, 2011. ISBN : 978-2-84574-112-6.

samedi 21 juillet 2012

Paris Gare du Nord, de Joy Sorman




En mai 2011, Joy Sorman s'installe une semaine gare du Nord, pour voir. Sans jamais monter dans un train, un RER ou un métro, elle observe la gare à toutes les heures de la journée. Elle en rapporte ce récit, écrit sur le vif, d'une semaine passée là où d'ordinaire on ne s'arrête pas. (présentation de l'éditeur).

J'ai trouvé ce petit livre (qui se lit très vite, en une demi-heure) à l'école où je travaille. J'ai vraiment beaucoup apprécié cette petite lecture, en plein dans mes préoccupations du moment. Non pas que je m'intéresse aux trains (quoique à force de les prendre, je finis par y être un peu comme chez moi), mais plutôt au temps. Le temps qui passe, le temps de la personne, le temps que l'on a pour soi, le temps que l'on donne aux autres, le temps de l'évolution, le temps qui manque, l'immédiateté d'internet... et là, dès le début, c'était en plein dans le thème :

[...] Et quand on se pose quelque part pour ne plus en bouger il se passe des choses invraisemblables, des choses qui surgissent parce qu'on a pris le temps de les attendre, parce qu'on est resté.
[...] je vois sortir de la gare une adolescente en pantalon ethnique et sandales de cuir : elle tient un hamster par la main. C'est-à-dire que le hamster pend dans le vide, tenu par la patte avant droite. [...] Suivent un curé en soutane sous un chapeau de paille à larges bords et fumant une clope roulée, puis deux soeurs jumelles octogénaires aux cheveux rouges.
C'est au moins un film de Peter Sellers. (p. 9 et 10).

Voilà. C'est ça que je découvre. L'observation, le temps gratuit que l'on prend, tel un arrêt sur image, pour regarder. C'est tellement différent de ce que je vis chaque jour, et pourtant si quotidien (je fais beaucoup d'allers-retours en train), c'est une sorte de redécouverte de mon propre quotidien... Oui, vraiment, j'ai beaucoup aimé ce récit. Il n'y a pas d'intrigue, il n'y a pas d'histoire, juste des personnages que l'on croise une ou plusieurs fois, au fil de la semaine. On y trouve les conducteurs de métros, le chef de la sécurité, des voyageurs, le responsable de la vidéosurveillance, des prostitué(e)s, des sans-abris, des agents de nettoyage... tous ceux que l'on ne voit pas, ou plutôt, que l'on ne voit plus (sauf les contrôleurs !), sans qui, pourtant, la gare ne serait pas tout à fait la même, voire serait sans doute une zone de non-droit, un endroit sale et dangereux... On y découvre aussi des espaces qui sont d'habitude cachés aux clients, ou tout simplement dans lesquels on ne s'arrête jamais, tellement on est pressé par un train ou un métro à prendre. Un peu comme l'envers du décor, en somme.
C'est bien écrit, avec de très courts "chapitres" qui racontent, dans un style rythmé et dense, les observations de l'auteur au fil des heures et des jours de la semaine qu'elle passe ainsi en observation.
Ce petit livre est donc une très jolie découverte !

Paru aux éditions Gallimard (L'Arbalète), 2011. ISBN : 978-2-07-013557-8.

jeudi 19 juillet 2012

Le Bras du Diable, de Julie Waeckerli




Je suis tombée sur ce roman un peu par hasard, en passant devant la librairie Wackenheim à Sélestat, un samedi après-midi. C'est dans cette librairie que j'avais dédicacé La Messagère du Temps en septembre dernier, et, depuis, quand j'ai l'occasion de passer devant le magasin, je regarde souvent si un auteur est là. Le libraire m'a incitée à entrer, m'a présentée à Julie, et nous avons commencé à papoter un peu entre auteurs.

Du coup, je ne pouvais pas partir sans son livre, d'autant plus que le titre me semblait accrocheur, et que j'étais curieuse de savoir ce que Les Nouveaux Auteurs éditent.
Je me suis par la suite informée, j'ai exploré le net, trouvé le blog de Julie Waeckerli et le site officiel de son roman, bref, j'ai pu voir qu'il est encensé partout, et j'en suis vraiment très heureuse pour Julie. C'est une grande chance pour elle que de voir sa carrière d'écrivain lancée de la sorte : nombreux sont les auteurs qui rêveraient d'une telle publicité pour leur premier roman.

Mais alors, ce livre, me direz-vous ? Qu'est-ce que j'en ai pensé ?

Alors c'est toujours un exercice délicat que de chroniquer un livre d'un auteur que l'on a croisé, avec qui on a un peu échangé. Surtout quand, comme moi, on n'est pas aussi emballé que la majorité des lecteurs par le livre en question (même si j'ai passé un très bon moment de lecture).
L'histoire est celle d'un groupe d'adolescents, dans un village alsacien, en plein été. Les jeunes gens s'ennuient ferme, et décident d'organiser une séance de spiritisme qui tourne mal. Dès le lendemain, un meurtre est commis dans le village, et ce n'est que le premier d'une série aussi sanglante qu'effrayante. En parallèle, on suit l'histoire de Berti, un homme de 76 ans atteint de la maladie d'Alzheimer, dont le passé revient par bribes, sous forme de flashs, et qu'il raconte à l'une des jeunes filles de la bande, chez les parents de laquelle il est hébergé.

On a donc affaire là à une histoire policière mêlant ésotérisme et Histoire, puisqu'il est beaucoup question de la Guerre d'Algérie dans ce roman, mais aussi de torture, de violence... On y trouve des adolescents touchants dans la description de leurs premiers émois amoureux, dans leurs doutes et leurs amitiés... L'histoire est bien menée, l'intrigue vraiment bien ficelée, qui tient en haleine de bout en bout, même si j'avais deviné l'identité du meurtrier bien avant la fin (ceci dit, je ne suis pas tout à fait honnête : je n'avais pas tout deviné. Et là, je tire mon chapeau : la fin tient en haleine jusqu'au bout, ou presque). Et, ce qui ne gâte rien, c'est maîtrisé au niveau de l'écriture, même si on sent quelques faiblesses ou tics d'écriture qui m'ont quelque peu parasitée pendant ma lecture.

Alors pourquoi n'est-ce pas un coup de cœur ?
J'avoue que je m'attendais à quelque chose de plus abouti. C'est un sentiment assez bizarre, en fait, et je ne voudrais pas passer pour une insatisfaite chronique ou quelqu'un de trop exigeant. C'est juste que pour moi, il manque quelque chose. Je m'explique. Au cours de ma lecture, j'ai vu une jeune fille, et j'ai eu l'impression que ce roman s'adressait davantage à des adolescents qu'à des adultes. C'est peut-être l'intrigue qui veut ça ? Ou le fait que l'on sent dans son écriture que Julie a vingt ans (ceci dit, j'aurais aimé avoir mené un tel projet à son âge !). C'est donc sans doute le seul reproche que je ferais à ce roman, ce qui est un bien maigre reproche, me direz-vous, en ce sens que la littérature pour adolescents et jeunes adultes recèle des trésors. Il se trouve que j'avais lu les commentaires de certains membres du jury, commentaires assez dithyrambiques, et j'attendais un peu plus, j'attendais plus un roman pour adultes. Du coup, j'ai eu l'impression d'un petit manque de maturité. Mais je vais m'arrêter là, parce que vraiment, compte-tenu de la qualité du récit par ailleurs, on va dire que je pinaille...
Ce livre est, malgré ce petit bémol, un excellent thriller, que les amateurs du genre vont s'arracher. Peut-être aussi que ce qui m'a manqué, c'est justement que le thriller, ce n'est pas forcément le genre que je préfère ? La lecture est tellement subjective...
Bravo, Julie, en tout cas : pour un premier roman, c'est vraiment un coup de maître ! J'ai hâte de lire tes prochains récits : ta plume est plus que prometteuse !

Paru aux éditions Les Nouveaux Auteurs, 2012. ISBN : 978-2-8195-0191-6.

jeudi 12 juillet 2012

Le Rêve du Celte, de Mario Vargas Llosa



Il y a des livres qu'on n'aurait jamais lu si les hasards de calendriers n'existaient pas. Pour celui-ci, c'est vraiment le cas. J'ai repéré ce roman dans ma librairie préférée quelques jours après celui où Ys annonçait son challenge Les 12 d'Ys. Du coup, je me suis engagée à y participer... sans me rendre compte de l'immense tâche qui m'attendait.
Ys, tu m'excuseras : ce billet sera peut-être le seul de ce challenge monumental que tu as imaginé : lire 12 livres dans chacune des 12 catégories que tu as créées.
Ceci dit, malgré l'étendue de mon incompétence en la matière, j'ai quand même réussi à aller au bout de ce roman-ci, et rien que pour ça, je suis ravie de m'être engagée dans cette folle aventure.

Le Rêve du Celte, c'est le titre d'un poème écrit par Roger Casement, diplomate britannique de la fin du 19e siècle, mort durant la première guerre mondiale, non au front mais pendu pour trahison. C'est ici son histoire qui nous est brillamment racontée, depuis son enfance en Grande Bretagne jusqu'à sa mort. Entre les deux, Roger Casement a vécu plus de 20 ans au Congo Belge, puis a fait plusieurs séjours en Amérique du Sud (en Amazonie en particulier, mais aussi au Brésil par exemple). En tant que diplomate, il s'est attaché à défendre les droits des populations indigènes qu'il a rencontrées sur place. Il avait en effet pu voir à quel point ceux-ci étaient opprimés, massacrés, humiliés, torturés, exploités au nom de la colonisation, tant au Congo qu'en Amazonie. Il a dû faire face, dans les deux cas, à la malhonnêteté des colons, à l'horreur de la recherche du profit à tout prix, quitte à aller jusqu'au mensonge pour gagner toujours plus d'argent... Durant sa vie de diplomate, Roger Casement n'a eu de cesse de dénoncer ces abus.

Mais ce côté brillant du personnage cache aussi une face sombre, obscure, comme chez nombre d'êtres humains (tous ?). Roger Casement, Irlandais par sa mère, n'a pu s'empêcher de comparer le joug qui pesait sur les épaules des Congolais et des indiens du Pérou avec celui qui se trouvait sur celles des Irlandais dans l'Empire Britannique. De là sa volonté de tout faire pour obtenir l'indépendance de l'Irlande, allant jusqu'à pactiser avec l'Allemagne, l'ennemie de l'ennemi...
Par ailleurs, les adversaires de Roger Casement n'ont pas un instant hésité à utiliser contre lui certains traits de sa personnalité totalement inacceptables à l'époque pour ajouter encore au discrédit qui pesait sur lui, le coupant progressivement de ses amis, de ses alliés, sapant la confiance qui le liait à eux et lui permettait d'avoir encore un espoir de voir sa peine commuée.

J'ai eu du mal à lire ce livre. Non pas à cause de la manière dont il est écrit, au contraire : il est passionnant, haletant, magnifiquement bien écrit, ne laissant aucun répit au lecteur. Le récit est construit sur une alternance entre le présent de Roger Casement (sa détention durant laquelle il attend la décision concernant sa peine et son exécution) et son passé, au Congo, en Amazonie puis en Irlande. Seulement, les faits décrits sont pour beaucoup absolument abjects, honteux, horribles, et m'ont demandé parfois du temps pour être digérés. La personnalité de Roger Casement est complexe, ses ambiguïtés nombreuses, rendant le personnage à la fois attachant et foncièrement humain. Et le talent de Mario Vargas Llosa est immense de parvenir ici à décrire ce personnage, à raconter sa vie, ses sentiments, ses troubles, avec tant de verve et d'apparente facilité. On est là entre le roman et la biographie, c'est un ouvrage qui se lit très bien mais qui nécessite d'être digéré. C'est une lecture exigeante, qui se mérite et a besoin de décanter. D'ailleurs, j'ai terminé ma lecture il y a déjà quelques jours, et contrairement à mon habitude, j'ai d'abord eu besoin de prendre du recul et de lire autre chose avant de pouvoir écrire le moindre mot au sujet de ce livre.

Je ne peux donc que remercier Ys de m'avoir permis, grâce à son challenge incroyable, de découvrir ce grand auteur qu'est Mario Vargas Llosa. Je ne connaissais absolument pas cet écrivain, et ce challenge aura été une excellente occasion ! (euh... je suis loin, mais alors très, très loin, de l'objectif du challenge ! Je crois que j'ai été très, très ambitieuse, là !)

Paru aux éditions Gallimard (Du monde entier), 2011. ISBN : 978-2-07-013289-8.