dimanche 14 janvier 2018

Bakhita, de Véronique Olmi



Ce livre a fait partie des sélections pour les prix décernés chaque année à la rentrée littéraire, au mois de septembre. D'habitude, je ne fais pas mes achats en fonction des sélections, ni même de la rentrée littéraire, tout simplement parce que j'ai trop peu de temps pour lire et qu'il m'est donc extrêmement difficile de suivre l'actualité littéraire. Pour tout dire, un des livres, conseillé par mon libraire, attend encore que j'aie le temps de l'ouvrir. Depuis un peu plus d'un an.

Bakhita a été enlevée à sept ans pour être vendue à des marchands d'esclaves. Dès le début, elle subit l'horreur et elle va y survivre, ainsi qu'à toutes celles qui vont suivre. Sans rentrer dans les détails, l'auteur donne à voir les souffrances subies par la petite fille puis l'adolescente. Pendant des années en effet, passant d'un maître à l'autre au gré des ventes et des marches forcées, elle va voir l'humanité dans ce qu'elle a de plus dur, de plus horrible, de plus noir.
Un point commun à toute sa vie : les enfants. Enchaînée très rapidement à une petite fille de son âge, elles seront vendues ensemble et feront de concert leurs premiers pas d'esclaves, jusqu'à la première séparation. Il y aura d'autres maîtres, d'autres enfants, d'autres tortures, d'autres souffrances, jusqu'à ce qu'un jour, en plein conflit au Darfour, le consul Italien l'achète lorsqu'elle est adolescente. Sa vie va alors changer progressivement pour la mener vers la lumière. Les enfants resteront des êtres proches d'elle, y compris lorsqu'elle sera devenue religieuse.

Ce roman m'a bouleversée à plus d'un titre. En premier lieu par l'histoire de Bakhita, cette petite fille dont on ne saura jamais le nom véritable, celui que lui ont donné ses parents, parce qu'elle-même l'a oublié dans son exil et sa marche forcée. Cette absence de nom, c'est aussi une volonté de la part des marchands d'esclaves. Pas de nom, pas d'identité, pas d'existence. Le nom marque l'existence même de celui ou de celle qui le porte. D'ailleurs, l'existence de Bakhita aura pris un tournant décisif lors de son baptême, plusieurs années après son arrivée en Italie, avec son nouveau nom.
Le troisième aspect qui m'a marquée, c'est l'omniprésence du langage, de la langue, comme marqueur d'appartenance. Si Bakhita avait su son prénom, le Consul d'Italie aurait pu, grâce à un ami connaisseur de la plupart des dialectes du Darfour, retrouver son ethnie, son village, sa famille. Mais la mémoire de Bakhita avait été effacée par la souffrance et les seuls mots dont elle se souvenait étaient ceux qu'elle avait appris au cours de sa captivité, son mélange, sabir connu d'elle seule où se mêlent des mots arabes, turcs, puis italiens et, plus tard, vénitiens et latins. La question du langage m'interpelle, parce que c'est par le langage qu'on acquiert la pensée, la réflexion. Sans langage, peut-il y avoir une conscience ? Je pensais que non. Mais l'histoire de Bakhita m'a montré que cette question est bien plus complexe que ce que je pensais (comme d'habitude !), puisque, malgré la perte de sa langue maternelle et sans que personne n'ait jamais pris le temps de lui apprendre à parler correctement une autre langue (il y a bien des essais, notamment avec le Vénitien, qu'elle arrivera à parler presque correctement à la fin de sa vie), une langue dans laquelle elle pouvait s'exprimer librement, Bakhita a pu développer un trésor au fond de son coeur et être touchée par la grâce. La question du langage est donc importante, mais pas nécessairement le seul moyen d'entrer en relation avec les autres (évidemment, on peut entrer en relation par le toucher, par les autres sens...), mais là, Bakhita utilise encore d'autres moyens, en en privilégiant un parmi tous les autres à sa disposition : l'amour qu'elle a pour les plus petits, pour les enfants. C'est cet amour immense, inconditionnel, qui la sauve de la barbarie et lui permet de survivre à l'enfer.

Sainte Bakhita fait partie de ces personnes qui ont tout souffert et qui ont fini par trouver dans le Christ leur sauveur. Sa vie est un exemple de foi et de simplicité, d'humilité et de droiture. J'ai été frappée par la formidable capacité de Bakhita à avancer malgré les difficultés et les souffrances, peut-être malgré elles d'ailleurs. Je ne connaissais pas du tout la vie de cette femme, j'en ai été profondément bouleversée. L'auteur a su évoquer et saisir toute la profondeur de l'âme et de la personnalité de Sainte Bakhita et en restituer l'incroyable destin.


Paru aux éditions Albin Michel, 2017. ISBN : 978-2-226-39322-7.

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